Des Charpentiers au milieu du pacifique

Julien Fourneau, compagnon charpentier, nous raconte l’expérience qu’il a partagé avec deux amis et collègues pour leur fin de Tour de France, en Polynésie française.

 

Je m’appelle Julien Fourneau, j’ai 28 ans. J’ai passé un CAP constructeur bois à Arras en 2012, puis un CAP charpentier en un an. Je suis parti sur le Tour à 19 ans : d’abord Grenoble, puis Montluçon, campagne de Limoges, Orléans, Rabastens, campagne de Toulouse, Annecy, Anglet et Paris. Je suis parti un mois et demi en Guadeloupe quand j’étais à Toulouse. À la fin de mon Tour de France, avec deux amis compagnons, Maxime Lefebvre et Laurent Bolot, nous avions encore envie de voyager. Un de nos patrons connaissait bien un compagnon à Tahiti, Guillaume Celestini. Ce dernier cherchait trois chefs d’équipe pour son entreprise ADN Construction Bois, ça nous correspondait. Nous remplacions notamment les compagnons Lucas Evrard, avec lequel nous avons travaillé un peu car il est resté un moment sur place et Damien Colasse. Nous sommes partis le 31 août 2023 et revenus le 22 décembre 2024. Nous n’avions pas une attirance pour un territoire en particulier, nous étions prêts à aller partout. Il y a des compagnons qui sont au Danemark, à la Réunion, à St Barth… Avec notre réseau de connaissances, c’était très facile de partir à l’étranger ou dans les DOM-TOM.

J’ai d’abord passé six mois sur Tahiti, puis onze mois à Bora-Bora. Tous les chantiers m’ont marqué, plus particulièrement un hôtel cinq étoiles à Bora-Bora pour lequel nous avons fait la charpente et un escalier monumental. J’ai gâché la plus grosse partie du chantier. On était dans un lagon, avec des tortues de mer, il y a pire comme cadre de travail ! Nous allions travailler en barge…
Le travail est différent en Polynésie : ce sont des régions beaucoup plus soumises aux conditions cycloniques. On fait des assemblages plus robustes, qui résistent mieux à l’arrachement, c’est-à-dire au vent qui s’engouffre par-dessous les toitures et les arrache. On emploie beaucoup de platines métalliques ancrées au sol. Nous ne faisions que de l’assemblage métallique : de la tige filetée, de la broche métallique sur platine ou boitier. Sinon c’est de la charpente basique, mais nous avons réalisé de grands ouvrages.
Il fait très beau. Il y a une saison des pluies vers septembre-octobre, mais les températures restent hautes. Le soleil brille sinon le reste du temps, il fait plus de trente degrés, j’ai dû prévoir un budget crème solaire conséquent ! Alors on fait un peu plus de pauses. Il faut faire attention aussi aux machines électroportatives qu’on utilise beaucoup : sous la pluie bien sûr mais aussi l’air marin salé qui les fait rouiller plus vite qu’en métropole.
Les équipes sur place sont vaillantes mais peu formées. Il n’y a pas d’écoles de charpente, très peu de formations bois, ils apprennent sur le tas. Nous pouvions transmettre quelques techniques à ceux qui le souhaitaient. Et il y a un gros contraste entre les zones touristiques, les hôtels cinq étoiles et le cœur des îles beaucoup plus modeste. On sent aussi une certaine forme de défiance vis à vis des métropolitains, déjà à cause de la colonisation, mais aussi après les essais nucléaires de 1996, à la suite desquels on a vu sur place une augmentation importante du nombre de leucémies.
Les gens vivent simplement et en accord avec la nature. Il y a beaucoup d’arbres fruitiers, la pêche est très importante. Il y a une culture du partage très sympathique, avec un grand coeur. Une mentalité qu’on a tendance à perdre un peu en France métropolitaine !

Nous devions rester minimum un an dans l’entreprise, qui nous payait en contrepartie le billet aller-retour. Et nous avons été logés gratuitement. Nous finissions la journée de travail assez tôt, vers 16 heures, ce qui nous laissait un peu de temps libre. Nous nous sommes fait beaucoup d’amis sur place, avec des sorties à Bora-Bora et quelques barbecues. Les week-ends nous avons aussi pu voyager en avion, pour visiter les îles voisines. Nous avons fait une excursion sur l’île de Raiatea, où nous avons visité une plantation d’avocats et de vanille, une ferme perlière et une rhumerie. Nous avons pris un repas les pieds dans l’eau sur un motou (banc de sable), avec des requins qui passaient entre nos jambes. Nous avons aussi eu droit à une démonstration de danse locale, à la cueillette des noix de coco… Enfin nous avons passé notre niveau 1 de plongée et notre permis bateau.
Au bout d’un an et demi, nous avions à nouveau envie de bouger tout de même, de cette île de seulement 32 kilomètres de périphérie. Après le Tour, les voyages au bout du monde, j’ai encore un peu de mal avec la sédentarisation. J’aimerais à nouveau voyager, je n’ai pas d’idée précise de destination… J’aimerais bien essayer les pays nordiques : un peu plus de fraicheur et sans doute de très beaux ouvrages à faire dans ces régions boisées !

 

J’ai beaucoup appris avec ce voyage, notamment à gérer les équipes, une dizaine voire une quinzaine d’ouvriers, parfois inexpérimentés, sur de gros chantiers. Il y a des jours où je ne faisais que de la gestion. Ça a été très bénéfique pour nous trois ; l’un était chef d’atelier, l’autre chef de chantier et moi chef d’équipe levageur. C’était nouveau pour nous, surtout en termes de volume sur le chantier de l’hôtel. Il ne faut pas hésiter à vivre ce genre d’expérience. C’est formateur, on découvre d’autres mentalités, d’autres cultures. Bora-Bora, c’est une destination qui fait rêver beaucoup de monde. Les patrons là-bas sont très ouverts, les conditions sont avantageuses, il faut saisir sa chance !

Mockup 5.1

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